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Article publié le samedi 29 avril 2017 revu le samedi 7 janvier 2023

GAFAM

Double irlandais et sandwich hollandais

Comprendre comment une société multinationale peut échapper aux impôts sur les sociétés les moins favorables nécessite de démonter des mécanismes compliqués.

Voici un exemple avec la tactique de Google : double irlandais et sandwich hollandais, une méthode officiellement légale d’optimisation fiscale qui s’apparente étonnamment à de l’évasion fiscale.

Chiffre d’affaire de Google en 2014

En 2014, le chiffre d’affaire (CA) de Google était de 66 milliards de dollars, son bénéfice mondial de 14 milliards de dollars.

1. Google est une entreprise étasunienne

Si les dirigeants ne disposaient que de la seule entité "Google US Incorporated" installée à Mountain View, en Californie, elle soumettrait ce bénéfice à l’IRS (fisc étasunien, Incoming Revenue Service).

Le taux de son imposition serait de 35% au vue de son bénéfice (système progressif de 15 à 35%).

  • 35% de 14 milliards = 4,9 milliards de dollars dus au fisc étasunien

2. Google crée une filiale irlandaise

La firme étant internationale et sa plus grande partie des bénéfices étant réalisée hors des États-Unis, Google pourrait ouvrir une filiale, par exemple en Irlande, pour gérer au plus proche de ses clients.

Elle constitue donc la "Google Ireland Limited", société de droit irlandais à responsabilité limitée, à Dublin, où le taux d’imposition est par ailleurs de 12%. Cette société filiale où travaillent près de 3.000 salariés sera le lieu de facturation de quasiment toutes les prestation hors États-Unis.

Elle déclare maintenant que son bénéfice de 14 milliards se réparti entre 3 milliards aux EU et 11 Mds en Irlande pour le "reste du monde", son imposition est comptabilisé comme ceci :

  • 35% de 3 milliards = 1,05 milliards de dollars dus au fisc étasunien
  • 12% de 11 milliards = 1,32 milliards de dollars dus au fisc irlandais

Au total 2,37 milliards de dollars d’imposition au lieu des 4,90 originels.

Cela est déjà une belle optimisation fiscale de 2,5 milliards, mais Google peut faire mieux et tenter de rapatrier aux EU les bénéfices réalisés en Irlande, sans payer l’imposition de 35%.

3. Google crée une holding* aux Bermudes

La société Google Ireland Holdings est installée dans les Bermudes, où il est autorisé de créer une entreprise dépendant des lois fiscales d’un AUTRE état, pour une somme modique de frais de création et de maintien à payer à l’État bermudien. Le taux d’imposition des entreprises est ici de 0%.

Google Ireland Holdings des Bermudes est déclarée irlandaise, donc relevant du droit fiscal irlandais. Elle est aussi déclarée détentrice les droits de propriété intellectuelle (PI) de Google et devient la société mère de Google Ireland Limited de Dublin, à laquelle elle concède les droits d’exploitation de la PI contre une redevance annuelle (royalties) de "seulement" 72% du bénéfice de Google Ireland Limited.

Google Ireland Ltd paye dorénavant environ 7,9 milliards de dollars (72% de 11 milliards de CA) de redevance à sa maison mère des Bermudes pour l’usage des brevets. Le bénéfice de Google Ireland Ltd. tombe donc de 11 à 3,1 milliards de dollars, son montant d’imposition diminue drastiquement à environ 372 millions...

C’est la technique du "double irlandais" (double Irish)

Mais il y a un problème : la redevance de 7,9 milliards de dollars (PI) qui sort de l’Irlande vers les Bermudes doit être imposée par l’État irlandais au fait que le transfert se fait vers un "Établissement dans un Territoire Non Coopératif", ETNC ou nom officiel et élégant d’un paradis fiscal. Google ne peut pas échapper à ce prélèvement qui quitte le territoire irlandais. Google Ireland Ltd doit donc payer aussi 12% de ces 7,9 milliards, soit 948 millions de plus à l’Irlande. Ce qui ne change en rien l’imposition dû au fisc irlandais.

Pour échapper au prélèvement sur la redevance transférée de l’Irlande aux Bermudes, il faut recourir au "sandwich hollandais".

4. Google créé une holding néerlandaise

Le Fisc irlandais impose les redevances de royalties qui quittent le territoire européen mais pas celles qui s’opèrent sur le territoire européen. Le gouvernement des Pays-bas, lui, autorise le transfert de redevances hors de son territoire sans aucune imposition. Il suffit donc d’intercaler entre les deux sociétés irlandaises une société "holding" néerlandaise sans salarié qui recevra la redevance de 7,9 milliards de dollars de Google Ireland Ltd.

Google créé alors la "Netherlands Holdings BV" à Schiphol-Rijk dans la banlieue d’Amsterdam. Elle recevra la redevance de PI de 7,9 milliards de dollars de Google Ireland Ltd pour la reverser à 99,8% (0,2% de commission) à la Google Ireland Holding des Bermudes. La commission de 0,2% de la société néerlandaise sera bien entendue légalement déclarée et le Fisc néerlandais imposera à 25% le bénéfice de la holding.

Récapitulatif :

  • 35% de 3,0 milliards = 1,05 milliards de dollars dus au fisc étasunien
  • 12% de 3,1 milliards = 372 millions de dollars dus au fisc irlandais.
  • 0% de 7,8 milliards = 0 au fisc bermudien

Au total 1,42 milliards de dollars d’imposition au lieu des 4,90 originels.

Mais la plus grosse part des bénéfices (7,8 milliards) est bloquée aux Bermudes, en attente de rapatriement aux EU. Si le bénéfice est rapatrié, le taux de 35% d’imposition sera appliqué, soit 2,7 milliards de dollars à payer. C’est le dernier problème de Google US Inc.

  • 35% de 3,0 milliards = 1,05 milliards de dollars dus au fisc étasunien
  • 35% de 7,8 milliards = 2,73 milliards de dollars dus au fisc étasunien
  • 12% de 3,1 milliards = 372 millions de dollars dus au fisc irlandais.
  • 0% de 7,8 milliards = 0 au fisc bermudien

Au total 4,15 Mds de dollars d’imposition au lieu des 4,90 originels.

Tout ça pour presque un milliard de dollars...

5. La politique bienveillante du fisc étasunien

Mais le gouvernement étasunien, dans l’intention de récupérer un faible montant plutôt que rien du tout, a finalement décidé de ne taxer qu’à 5% les bénéfice rapatriés depuis l’étranger.
Les 7,8 Mds de dollars des Bermudes peuvent donc revenir au pays où Google US Inc. de Mountain View s’acquittera d’un impôt réduit à environ 390 millions de dollars.

Au final :

  • 35% de 3,0 milliards = 1,05 milliards de dollars dus au fisc étasunien
  • 5% de 7,8 milliards = 390 de dollars dus au fisc étasunien
  • 12% de 3,1 milliards = 372 millions de dollars dus au fisc irlandais.
  • 0% de 7,8 milliards = 0 au fisc bermudien

Au total 1,80 Mds de dollars d’imposition au lieu des 4,90 originels théoriques.

Voilà qui est vraiment une optimisation fiscale.

5. Google France dans tout ce montage

Les entreprises sises dans les différents pays européens ne déclarent pas leurs revenus réels des publicités payées sur leurs territoires, mais sont déclarées comme "apporteurs d’affaire" de Google Ireland Ltd. qui leur reverse 10 % des revenus apportés.

Les pays européens ne peuvent les taxer que sur un revenu grandement minimisé.

Par exemple, en 2018, Google France SARL (700 salariés) déclare 411 millions d’euros de chiffre d’affaire et 55 millions de bénéfice imposé à 30%. Soit environ 18 millions payés au fisc français.

Mais ces 411 millions ne représentent pas en fait le CA de Google France, car les publicités achetées en France, estimées à 2 milliards en 2018, sont facturées et déclarées à la société irlandaise.

Ces 411 millions représentent en fait la "rétrocession pour le suivi des clients français" versée par Google Ireland Limited à sa filiale française.

Si le bénéfice réel était de 55 millions sur 411 millions de CA, nous calculons donc que l’ensemble des charges de Google France SARL sont de 356 millions.

Ces charges retranchées des 2 milliards d’euros de CA estimé, le bénéfice réel serait de 1,6 milliard et son imposition grimperait à plus de 490 millions...

Google France divise par 5 son chiffre d’affaire et donc en conséquence minimise drastiquement son bénéfice imposable. C’est ici la raison de l’action en justice de l’État français contre Google.

Lien : Fiscalité : Dublin mettra fin au « double irlandais », trésor des géants du Net.


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